La question du traitement équitable est fondamentale quand on veut être « juste ». L’équité est même souvent admise comme synonyme de justice. Et ce, que ce soit quand on parle d’un citoyen ou d’un salarié.
Chaque femme ou homme politique, chaque employeur, chaque leader d’une organisation propose « sa » justice, comme si cette dernière était universelle.
Pourtant, nous allons voir que, pour savoir comment intégrer les notions de justice et d’équité dans la vie politique ou dans le management de l’entreprise, il faudrait déjà savoir de quoi on parle.
Croyez-vous réellement qu’en matière politique par exemple, la justice proposée par les extrêmes, les socio-démocrates et les conservateurs soit la même ? Pourtant chacun utilise ce terme à son compte. MA justice est LA justice.
Croyez-vous que dans l’entreprise, quand le manager et le collaborateur parlent d’équité ou de justice, ils parlent réellement de la même chose ? Quand l’un parle de récompense du mérite, l’autre parle peut-être d’égalité ou de prise en compte des différences sociales…
Voyons, grâce à un peu de vocabulaire, comment les notions d’égalité et d’équité s’appliquent dans le monde de l’entreprise :
Qu’est-ce que l’égalité ?
Sans être simpliste, on peut définir l’égalité comme un traitement strictement identique de tous les individus qui composent une population. Qu’importe le mérite, les besoins, la situation financière, les aptitudes…
Ce terme d’égalité est peu utilisé dans les échanges sociaux ou politiques. On préfère utiliser le mot « équité ». Pourtant, l’équité est très différente de l’égalité.
L’égalité, en management, présente un avantage indéniable – mais c’est bien le seul : Sa simplicité de mise en œuvre. Par exemple, on peut, pour être égalitaire, mettre en place les règles suivantes :
- Salaires : Tous les salariés d’une même fonction au même salaire (ce qu’on appelle « à la grille », pour faire référence au tableau des minima de la convention collective) ;
- Primes : Collectives, évidemment. (On peut d’ailleurs se demander si des primes différentes à des salariés qui ne travaillent pas le même nombre d’heures dans la semaine restent tout de même égalitaires)
- Horaires : Tournants, pour que personne n’ait à travailler plus de soirées, de week-ends ou de nuits ;
- Congés : Par roulement également, sans prendre en compte la situation familiale des salariés concernés.
- Promotion : A l’ancienneté uniquement.
Ce principe égalitaire, dont on voit clairement les limites en matière de gestion des Hommes, est malheureusement de plus en plus utilisé par certains managers, qui cherchent avant tout à ne pas faire de vagues… Quand le gâteau est divisé à parts égales, personne n’ose réclamer une part plus grosse, même s’il meurt de faim !
Qu’est-ce que l’équité ?
Là où cela se complique, c’est que, si l’on y réfléchit bien, il n’y a pas une équité qui s’opposerait à l’égalité. Il y a en réalité 2 équités (une équité sociale et une équité libérale) qui s’opposent – et l’égalité est entre les 2 !
Qu’est-ce que l’équité sociale ?
L’équité sociale est la capacité d’une autorité à prendre en compte les besoins des différents individus de la population qu’elle administre. Connaissez-vous l’adage « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » ? Et bien c’est strictement cela.
Dans le domaine politique, on distingue bien son intérêt et chacun sait que « la gauche » est historiquement plus animée par l’équité sociale que « la droite ». Les partis socialistes et communistes, en France comme ailleurs, ont toujours utilisé la redistribution des ressources comme un des grands moyens de tendre vers cet idéal qu’est l’équité sociale.
Mais dans l’entreprise, cette équité sociale a-t-elle un sens ?
Cette question est rarement traitée. La réponse, parce qu’il doit y en avoir une, ne doit certainement pas être dogmatique mais différenciée d’un domaine à l’autre.
Par exemple, on admettra volontiers que :
- les salariés à temps partiel aient leur jour de repos le mercredi s’ils ont des enfants d’âge scolaire
- les horaires soient établis en fonction des contraintes personnelles si l’organisation du service le permet
- les coupures de travail soient minimisées pour ceux qui habitent loin
- etc…
Par contre, il serait difficile d’admettre que :
- les salaires et primes soient établis en fonction des besoins financiers du ménage
- l’embauche ou la promotion se fassent sur des critères de discrimination positive
Au delà des quelques aménagements que l’entreprise peut mettre en place dans un souci social, rappelons que les organisations d’au moins 50 salariés sont dotées d’un CSE chargé de gérer des activités sociales et culturelles et que les élus doivent intégrer la dimension sociale dans leurs choix d’activités.
Qu’est-ce que l’équité libérale ?
Le principe est ici très différent. On ne cherche pas à être juste envers celui qui a plus besoin que son prochain mais à l’être vis-à-vis de celui qui contribue plus que son voisin. L’équité dont il est question ici est celle décrite par John Stacey Adams en 1963.
Quand on présente cette équité par la formule « donner plus à ceux qui t’apportent plus », presque tout le monde est d’accord.
Mais ce graal libéral ne se met pas en place sans difficulté. Les craintes de certaines organisations syndicales quant aux différences de traitement ne sont en effet pas sans fondement. Les faveurs aux uns ne cachent-elles pas une défiance aux autres ? Les critères de sélection des « plus méritants » sont-ils réellement objectifs et incontestables ?
Beaucoup de managers renoncent – parfois sans s’en rendre compte – à intégrer cette forme de justice dans leur gestion des hommes car ils ne sont pas prêts à se mettre à dos une majorité de collaborateurs pour répondre favorablement aux attentes – souvent peu exprimées – des meilleurs d’entre eux.
Car c’est là que le bât blesse : A défaut d’être capable d’expliquer pourquoi on « privilégie » certains salariés et sur quels critères on fonde ses jugements, on se retrouve à devoir choisir entre des méthodes égalitaristes qui vont satisafaire le « ventre mou » des salariés (tous ceux qui contribuent faiblement à la performance de l’entreprise) et insatisfaire – mais de façon quasi-invisible – les quelques stars de l’équipe ou alors se comporter en « baron », distribuer des primes discrétionnaires et se faire rapidement taxer de copinage, de clientélisme voire de discrimination.
Comment choisir entre égalité et équités(s) ?
Aucune de ces 3 façons de faire n’est parfaite en soi. Mais nous vous proposons 2 axes de travail qui pourront vous aider à optimiser à la fois la satisfaction de vos salariés et les performances de l’entreprise.
Première approche : Négocier ce qui doit être équitable (socialement, libéralement) ou égalitaire
Il convient à notre avis de mettre la question de l’équité et de l’égalité sur la table des négociations et de convenir de modes opératoires ciblés, domaine social par domaine social. Les formations communes au dialogue social, destinées à la fois aux employeurs et aux partenaires sociaux peuvent être un excellent outil pour identifier les façons les plus adaptées de traiter les femmes et les hommes de l’entreprise.
Seconde approche : Clarifier l’évaluation des contributions de chacun
La communication entre le manager et son collaborateur est souvent défaillante, faute de techniques de part et d’autre. On ne se dit pas les choses sur le champ et, quand vient le moment de l’entretien annuel (de l’évaluation et non de l’entretien professionnel), on tourne autour du pot ou on vide son sac avec grand fracas. La nécessité, pour les managers, d’être transparents sur leurs attentes, leur niveau de satisfaction et les moyens correctifs à mettre en œuvre par les collaborateurs doit absolument être intégrée et faire l’objet de calendriers d’accompagnement. L’objectif est ici de responsabiliser ses équipiers, de leur montrer objectivement pourquoi à ce jour, ils ne méritent pas telle récompense et de leur indiquer sans détour ce qu’ils doivent faire pour l’obtenir, avec des objectifs clairs et réalisables.
Ces questions sont complexes mais fondamentales. Elles ont pour enjeux :
- La confiance dans le management
- La confiance en soi
- La volonté de progresser
- La sérénité
- Le sentiment de justice